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répondra à cette question suivant ses préférences personnelles ; mais quel que soit le degré de sympathie qu’on éprouve pour la nature du talent et du style d’Hugo, on doit reconnaître qu’il tiendra toujours une très grande place, sans doute même la première, dans notre histoire littéraire du xixe siècle.

Son mérite le plus incontestable est d’avoir renouvelé la langue et les formes poétiques. Il a à la fois enrichi la littérature de formes nouvelles en revenant, par delà le xviie siècle, aux formes variées de la poésie lyrique des xve et xvie siècles, et le vocabulaire poétique de mots nouveaux en y introduisant, non des néologismes, mais une foule de termes considérés avant lui comme trop familiers ou trop techniques ; en même temps, il a rendu la versification à la fois plus libre et plus précise en exigeant pour la rime plus d’importance, plus de variété et plus de richesse qu’on ne lui en donnait auparavant, et en bouleversant les règles admises jusque-là pour la césure et l’enjambement. Tous les poètes qui ont écrit depuis cinquante ans ont été unanimes à saluer Hugo comme le rénovateur du Parnasse, comme un bienfaiteur qui leur a donné un instrument d’une incomparable richesse, qui a renouvelé les cordes de la lyre française et en a augmenté le nombre. Ils l’ont baptisé d’un nom touchant : le Père. Qu’il ait, à côté de cela, altéré le génie de la langue française en en forçant les couleurs et les tons, en abusant de certains mots, en multipliant les antithèses, en se