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Ce qui a achevé la fortune de Hugo, c’est que sa lutte oratoire contre l’Empire, dans les assemblées de 1850 et de 1851, puis son exil à Guernesey, avaient fait de lui le symbole même de la République. Par son Napoléon le Petit, par ses Châtiments, son chef-d’œuvre, par le serment solennel prêté et tenu par lui de ne jamais rentrer en France tant que l’Empire serait debout, il était sur son rocher pour le Don Juan impérial comme une statue du Commandeur qui lui prédisait le jour prochain de la vengeance céleste. Le rocher de Guernesey devenait, dans l’imagination populaire, comme l’antithèse du rocher de Sainte-Hélène, et la République devait en revenir avec Hugo vivant, comme l’Empire était revenu de Sainte-Hélène avec les cendres de Napoléon.

L’Empire croula. Victor Hugo, fidèle à sa parole, accourut prendre part aux souffrances et aux dangers de Paris assiégé. Il resta depuis lors parmi nous, entouré d’un concert d’admiration où nulle voix discordante ne se faisait entendre, comme le représentant du siècle littéraire finissant, et aussi comme une sorte de symbole des idées démocratiques et républicaines. Symbole d’ailleurs contradictoire aux idées mêmes qu’il représentait, car les adorations prosternées qui l’entouraient étaient la plus éclatante démonstration du besoin qu’ont les hommes de se faire des héros, des rois et des dieux.

L’importance de l’œuvre littéraire de Hugo égale-t-elle l’importance du rôle joué par l’homme ? Chacun