Page:Monod - Portraits et Souvenirs, 1897.djvu/30

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il ne serait pas juste de penser ainsi. Sans doute, il y a eu dans les honneurs rendus à Victor Hugo, dans les manifestations et l’émotion universelles, un peu de cet instinct théâtral qui entraîne toujours inconsciemment les Français ; il s’y trouvait aussi une assez large part de vanité nationale, le désir de glorifier la France en Victor Hugo ; mais l’émotion n’en était pas moins profonde et l’enthousiasme réel. J’ajouterai que les hommages rendus à l’homme de génie disparu étaient mérités.

Pour juger l’importance d’un écrivain, il ne faut pas seulement tenir compte de son talent littéraire, mais aussi de ses actes, du rôle qu’il a joué, de ce qu’il a représenté pour son pays et ses contemporains. Il ne viendra à l’esprit de personne de préférer Voltaire comme poète dramatique à Racine, comme philosophe à Descartes, comme historien à Montesquieu ; mais Voltaire a exercé une telle influence sur son siècle, il a tellement incarné en lui l’esprit de son temps, il a si puissamment contribué à faire rayonner la France sur l’Europe, que son nom est à juste titre plus populaire que ceux de Descartes, de Racine et de Montesquieu. De même la gloire de Victor Hugo n’est pas née seulement de la beauté des œuvres qu’il a écrites, mais encore du rôle qu’il a joué, de l’influence qu’il a exercée, en politique aussi bien qu’en littérature, de sa vie même, à laquelle les circonstances ont donné une grandeur et une portée symboliques.