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compte des dons de l’esprit que de ceux du cœur. Le génie à ses yeux était peu de chose, ou pour mieux dire, n’existait pas sans la bonté, et la bonté à elle seule tenait lieu de tout. Lui-même était d’une exquise bonté. Dans une âme passionnée comme la sienne, sa constante bienveillance, son inaltérable douceur était une haute vertu. Je ne lui ai jamais entendu parler de personne avec amertume, et je ne crois pas qu’il ait jamais volontairement fait de la peine à quelqu’un. Ce qu’il fut pour les pauvres, pour les souffrants, nul ne le saura jamais. Je

    éloquent de cette prédilection pour Virgile, prédilection du cœur plus encore que de l’esprit : « Tendre et profond Virgile ! moi qui ai été nourri par lui et comme sur ses genoux, je suis heureux que cette gloire unique lui revienne, la gloire de la pitié et de l’excellence du cœur… (Michelet vient de parler des beaux vers de Virgile sur le bœuf de labour, et des vers à Gallus : nec te pœniteat pecoris.) Ce paysan de Mantoue, avec sa timidité de vierge et ses longs cheveux rustiques, c’est pourtant, sans qu’il l’ait su, le vrai pontife et l’augure, entre deux mondes, entre deux âges, à moitié chemin de l’histoire. Indien par sa tendresse pour la nature, chrétien par son amour de l’homme, il reconstitue, cet homme simple, dans son cœur immense, la belle cité universelle dont rien n’est exclu qui ait vie, tandis que chacun n’y veut faire entrer que les siens. » P. 232.