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CONTES POPULAIRES EN ITALIE
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Un grand négociant se marie, épouse une femme « bonne comme le bon matin » et se met en voyage pour ses affaires, mais non sans avoir pris de sages précautions. Il laisse à sa femme une riche provision « de pain, de farine, d’huile, de charbon et de tout ; » il a cloué les portes et les fenêtres, une exceptée très-haute, afin que la pauvre recluse pût avoir un peu de jour et d’air. Au reste ces mesures avaient été demandées, conseillées du moins par elle. Passèrent quelques jours, et la belle qui s’ennuyait fort avait grande envie de pleurer. Sa chambrière lui donna un excellent conseil.

— Poussons une table jusqu’au mur, nous monterons dessus et nous regarderons par la fenêtre ; nous aurons la belle vue du Cassaro (c’est la grand’rue de Palerme.)

Ainsi fut fait, et la prisonnière poussa un cri de joie :

— Ah ! Seigneur, je vous remercie ! À ce cri, deux hommes qui étaient en face levèrent la tête, un notaire et un chevalier ; un pari s’engagea aussitôt entre ces deux hommes : quatre cents onces devaient être gagnées par celui qui parlerait le premier à ce beau visage qui venait de remercier le Seigneur. Le notaire, ne sachant à quel saint se vouer, se donna au diable, qui le changea en perroquet afin qu’il pût s’introduire dans la maison.

— Mais prends garde, lui dit le virserio (l’adversaire : c’est un des surnoms de Satan, que les Siciliens masquent toujours sous des euphémismes ;) le chevalier, ton rival, s’adresse à une duègne qui sait le moyen de faire sortir la dame de la maison. Ne la laisse pas sortir, sais-tu ? Mais retiens-la toujours en lui disant : « Ma belle maman, assieds-toi là que je te conte un conte. »