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CONTES POPULAIRES EN ITALIE

mesurant onze syllabes et se terminant par des rimes croisées qui se répètent quatre fois. Même dans ces couplets qui prennent en Sicile les noms de canzuna, stimmboltu, sturnettu, selon les localités, l’amour est une affaire d’imagination plutôt que d’émotion ; le sentiment disparait dans les hyperboles. Le poète, qui ne pourrait signer ses œuvres que d’une croix, ne sait où trouver des vocables assez éblouissants pour chanter les gloires de sa maîtresse. Il affirme qu’elle a été baptisée par le pape dans l’eau du Jourdain, que Palerme et Messine lui furent amies, que son nom alla jusqu’à Marseille, et qu’elle reçut les mages à son berceau. Aussitôt trois aigles allèrent annoncer la nouvelle à l’univers entier. Les tresses d’or de la jeune fille ont été filées par trois anges et lui tombent jusqu’aux pieds. Ses lèvres sont du corail, ses yeux des étoiles, ses sourcils des arcs de triomphe. Elle est blanche comme la soie d’Amalfi : la reine de France osa un jour la défier, mais fut vaincue. La jeune Sicilienne est digne de s’asseoir en vie dans le paradis avec les saints, Toutes les images pâlissent auprès d’elle ; pour l’égaler en valeur, il faudrait des arbres chargés de diamants, il faudrait des palais construits en topaze et en rubis, il faudrait la lune et plus que la lune, le soleil. Dans ses rispetti, le chansonnier sicilien voudrait être changé en rossignol pour se poser sur l’épaule de la jeune fille, se nicher dans ses cheveux et lui fredonner aux oreilles des doux mots qui amollissent le cœur, ou en abeille pour lui poser du miel sur les lèvres, ou en poisson pour être acheté par elle et mangé. Il se pâme devant le grain de beauté qu’il aperçoit sur la joue de la déesse ; il fait vœu de le porter en amulette, de le donner à bénir au pape afin que cent ans d’indulgence soient accordés