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CONTES POPULAIRES EN ITALIE
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labre ; elle disait que de la palissade elle avait pensé toucher cette ville avec la main.

La Messia ne sait pas lire, mais elle sait beaucoup de choses qui sont connues d’elle seule et elle les dit avec une propriété de termes qui étonne les lettrés. Parle-t-elle d’un bâtiment qui court la mer, elle prend sans s’en douter, tout naturellement, le vocabulaire des marins ; elle sait le nom des mâts, des amarres, la rose des vents, court de bâbord à tribord, renfloue, agrène, carrège, alargue, mange le vent, tient le lof, comme si elle n’avait fait que cela toute sa vie. Elle sait les mots techniques de tous les métiers : elle-même en a exercé plusieurs.

Tailleuse dans sa jeunesse, elle devint, sa vue baissant, piqueuse de couvertures, et, malgré le rude travail auquel elle s’astreint pour vivre, elle trouve beaucoup de temps pour ses dévotions. Chaque jour, l’hiver ou l’été, qu’il pleuve ou neige, elle sort à la brume et va prier. Sa piété satisfaite, elle raconte des histoires ; elle en sait des milliers et n’en a oublié aucune ; elle les dit toutes avec la grâce, la verve, la chaleur et l’expression qu’elle avait à vingt ans. C’est une mimique étonnante, un continuel mouvement des yeux, des bras, des pieds, de la personne entière, un perpétuel changement d’attitudes, une incessante agitation du corps qui s’incline, se dresse, va et vient par toute la chambre, se couche presque à terre ou bondit comme pour s’envoler ; un roulement de la voix qui prend tous les tons, parcourt toutes les gammes, tour à tour douce et grave, d’une solennelle lenteur ou d’une volubilité haletante, émue, effrayée, vibrante, allègre comme un éclat de rire, habile surtout à emprunter tous les accents, toutes les intonations des personnages que l’admirable conteuse met en jeu.