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C’est la terre sans borne où tout fuit et s’azure,
Et l’ombre, gravissant la neige unie et pure,
Semble un voile éternel dont Dieu va recouvrir
Le Néant sous leurs pas ! — « Eh quoi ! toujours souffrir
» Pour contempler des cieux la figure du monde !
» Dit le barde tremblant ; d'ici jetons la sonde
» Et regardons la plaine ; ami, ne monte plus ! »
Du barde cependant les jours sont révolus.
Ils vont, ils vont encor ; l’inexorable guide
A fasciné sa proie, et, toujours plus rapide,
De son chant mâle et fier le pousse en ces frimas.
— « Oh ! que la terre est belle ! Eh bien ! n’entends-tu pas
» De ce grand piédestal où ton ame élancée
» Sur le monde abaissé fait régner sa pensée,
» N’entends-tu pas, ami, de sublimes concerts ? »
Le barde répliqua : « Non, du roi des hivers
» Les grands ongles d’airain m’écorchent le visage ;
» Mes yeux se sont troublés. Descendons ; c’est plus sage. »
— « Poète, c’est donc là le fruit de tes labeurs !
» Vivre dans la poussière, offusqué de vapeurs,
» Pour expirer plus bas que la cime du monde !… »
— « Sur le bord de ce gouffre où, pour jeter la sonde,
» Mon esprit orgueilleux vole et va s’abîmer,
» L’homme, qui passe un jour, n’a que le temps d’aimer.
» De quel droit près des cieux porterais-je ma cendre ?
» Vers la plaine et le bruit, laissez-moi redescendre ;