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Le barde en son ivresse est sourd à sa prière.
Contenu cependant par le regard austère
Du pauvre chevrier, par son air de douceur,
Il hésite à frapper dans la main du chasseur.
Mais, mariant l’orage au ton de la caresse :
« Suis-moi, dit le chasseur, ici-bas le temps presse. »
Puis, écartant le crêpe où souriaient ses yeux,
Il leva vers le ciel un doigt mystérieux ;
De son brillant manteau détacha son écharpe,
Et sur de graves tons il accorda sa harpe :

« Sur la vague gelée où l’orage s’endort,
Suis-moi, lui disait-il, vers mes pâles royaumes ;
Là, couvrant de sa voix le tumulte des hommes,
Sur des trônes déserts, seule s’assied la mort.

» De l’éternelle fête écoutant les préludes,
Tu pourras oublier au fond des solitudes
Le temps que Dieu mesure aux pas du genre humain ;
Car c’est l’oubli des cieux et nos inquiétudes
Qui font à l’ame un lendemain.

» Des frais jardins de l’air adorant les mystères,
Jusqu’aux libres sommets des Alpes solitaires
Viens cueillir le sommeil parmi mes chastes fleurs.
Que, saluant l’Éden, tes arides paupières
Du souvenir versent les pleurs !