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» Pourquoi s’en plaindre encor ? » Voilà ce qu’ils t’ont dit.
Frère, c’est que de moi l’ignorance a médit.
Mais s’il arrive encor que leur voix te confonde,
Te disant qu’une larme est l’étoile du monde,
Et que le sacrifice est sa première loi…
Regarde : sur mes flancs le sang grava ta foi !
Dis-leur que si la terre a les pleurs en partage,
Tout poète, ici-bas, de ce noble héritage
Eut le don le plus riche et la meilleure part. »
Il dit, et la colère allumant son regard,
Du simple chevrier dispersait les pensées ;
Et les pages du ciel que ses doigts ont froissées,
Tremblent sous ses regards fatigués et distraits ;
Car du malin chasseur les perfides attraits,
Parfois interrompant sa lecture chérie,
Y faisaient succéder la molle rêverie,
Ou les sombres élans de désirs inconnus…
Tristes trésors ! hélas ! des deux nouveaux-venus !
Mais bientôt le berger, rappelant son courage,
Dit au barde rêveur : « N’entends-tu pas l’orage
» Qui roule autour de toi ? Demeure à mon foyer ;
» Jusqu’au pâle matin, tous deux, il faut prier.
» Ton voisin m’est suspect ! Mon frère, je redoute
» Pour ton bel avenir ce compagnon de route.
» Regarde, n’a-t-il pas l’allure d’un mourant ? »
— « Demeure auprès de moi, dit le pâtre en pleurant. »