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CŒUR MAGNANIME

nesse et plein de vie, c’était quelques jours avant mon ordination sacerdotale : le soir j’entrais en retraite. Il venait m’apporter des nouvelles de sa « double conquête ». Il désignait ainsi son protégé, car ce dernier, aigri par le malheur, avait abandonné depuis longtemps ses pratiques religieuses. Rodrigue, lui, avait réussi à le ramener dans le chemin du salut. En soignant le corps, il avait préparé l’âme à ce bienheureux retour : son malade avait retrouvé à la fois la vie de l’âme et la vie matérielle. Dans les desseins de Dieu celle de Rodrigue n’était-elle pas la rançon de cette double résurrection ? mystère !

En lui serrant la main je fus surpris de la sentir si brûlante et je ne pus m’empêcher de lui en faire la remarque. « Ce n’est rien, me répondit-il, une bonne marche au grand air me fera du bien… » Hélas ! je ne devais le revoir que sur sa couche d’agonie…

C’est au soir de mon ordination que Martinenq vint m’apprendre la foudroyante nouvelle. Je m’expliquai alors l’absence de Rodrigue à cette incomparable cérémonie ainsi que celle de mon ancien professeur, le docteur Décugnier, lequel a lutté désespérément pour arracher Rodrigue à la mort : il l’aimait tant déjà ! J’accourus aussitôt au chevet de notre cher malade : il avait toute sa connaissance. J’étais plus ému que lui. Il était calme et résigné : pas une plainte, pas un murmure ! J’avais devant les yeux le touchant et consolant spectacle de la foi canadienne en face de la mort.

— « Il m’aurait été bien doux de vivre — me dit-il — surtout à cause de cette pauvre enfant — et il désignait sa jeune femme qui, anéantie par cette subite épreuve, pleurait silencieusement prés de lui. — J’aurais voulu