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CŒUR MAGNANIME

cœur : l’avenir d’Anne-Marie. Ils souhaitaient ardemment de la voir établie avant que n’arrivât pour eux le moment de franchir le seuil de l’autre vie. Ils sentaient que le terme de leur pèlerinage terrestre touchait à sa fin, il leur en coûtait de laisser leur fille chérie sans appui : elle était encore si jeune ! Tous deux avaient fait le même rêve. Celui sur lequel ils fondaient le bonheur de l’enfant aimée était : Michel Girard.

Depuis quelques temps le jeune homme venait plus souvent chez ses vieux amis. L’accueil cordial d’Anne-Marie l’enhardissait à multiplier ses visites. Elle était l’aimant puissant qui l’attirait en cette demeure. La joie de la voir, ne fût-ce qu’un moment, et de causer avec elle le délassait subitement de ses longues journées d’un travail, que sa naturelle compassion accroissait sans cesse. Anne-Marie l’interrogeait avec un affectueux intérêt sur ses occupations, sur le résultat de ses causes, et le grondait gentiment de ce qu’elle appelait « ses excès de charité ». Il l’écoutait en souriant ; chaque mot de la jeune fille tombait délicieusement sur son cœur et avivait cet amour qu’il n’osait lui avouer.

Elle-même l’appréciait chaque jour davantage ; elle s’était si bien accoutumée à ses fréquentes visites que lorsque l’intervalle se prolongeait un peu, elle éprouvait une vive inquiétude ; malgré elle son cœur le réclamait. Lorsqu’elle entendait le coup de timbre familier, qui lui annonçait sa présence, elle ne pouvait se défendre d’un tressaillement joyeux. Elle l’aimait presque. Que de fois s’était-elle dit, depuis le jour où Rodrigue avait trahi sa promesse : « Ah ! s’il lui avait ressemblé, il n’aurait pas été infidèle… »

Un soir, cependant, que la jeune fille lui parut plus