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CŒUR MAGNANIME

« le petit ». Il n’y avait qu’envers « l’étrangère » qu’elle ressentait encore quelque aigreur. Elle ne pouvait se résoudre à lui pardonner de leur avoir volé le cœur de Rodrigue ; cependant elle avait promis à Anne-Marie de ne lui point faire mauvais visage. La jeune fille comptait sur le cœur de sa vieille servante pour achever le reste.

Grande Amie, elle, revendiquait déjà la faveur d’élever les enfants de Rodrigue.

Oui, on renaissait à la joie. Le vieux docteur Solier retrouvait presque son ancienne vigueur usée dans l’exercice de sa noble carrière. Il l’avait complètement abandonnée à l’égard des clients de la classe riche ou aisée, qui pouvaient, disait-il, recourir à d’autres aussi aptes que lui à soulager leurs maux ; mais il n’avait pu se résigner à abandonner ses pauvres. « Ce sont les amis préférés de Jésus-Christ, je ne puis, disait-il encore, que partager les prédilections de mon Maître. Et puis, n’aurons-nous pas l’éternité entière pour nous reposer ? Laissez-moi travailler encore un peu sur la terre. » Le saint vieillard consacrait sans compter le peu de forces qui lui restaient à soigner les malheureux qui recouraient à lui : ils étaient nombreux ! Aussi à toute heure du jour, et souvent dans la nuit, était-on sûr d’apercevoir dans les quartiers populeux de la cité, la silhouette voûtée de l’infatigable ami des déshérités de ce monde.

Sa pieuse épouse le côtoyait dans ce domaine de la charité. Bien plus jeune que son mari, elle était déjà brisée par une précoce vieillesse : cependant, elle aussi, trouvait toujours de nouvelles forces pour accourir à l’appel de ses protégés.

Un seul nuage obscurcissait le ciel limpide de leur