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CŒUR MAGNANIME

VI


On attendait le jeune couple. Il devait arriver au Canada à la fin du printemps : on n’en était guère éloigné. La terre avait déjà secoué son blanc linceul et s’apprêtait à se parer de sa parure d’émeraude. Le fleuve géant sortait de son sommeil hivernal ; son impétuosité, trop longtemps contenue, venait de briser, aidé de la lumière du soleil qui se faisait plus ardente, l’épaisse cuirasse de glace qui le recouvrait et dans leur course vagabonde les flots emportaient les derniers glaçons qui, semblables à des cygnes, flottaient encore à la surface.

Dans l’opulente demeure du Docteur Solier les cœurs étaient à l’unisson de ce joyeux réveil de la nature. L’enfant prodigue revenait sous le toit familial : tout était oublié.

Rodrigue, l’heure de troublante ivresse passée, avait éprouvé le besoin de se retourner vers les pures et saintes tendresses du foyer où il avait grandi. Ses lettres devenaient plus fréquentes et chacune était remplie de la filiale et fraternelle affection de jadis. Odile ne s’était nullement opposée au retour de Rodrigue puisqu’elle devait l’accompagner. La perspective d’un long voyage ne lui déplaisait pas et puis ce retour faisait plaisir à son mari, cela suffisait à la jeune femme pour réprimer en elle la moindre objection : d’ailleurs il lui