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CŒUR MAGNANIME

ligent, complétait, avec un brave Alsacien et ton Rodrigue, notre petit cénacle. Ce bon Strasbourgeois détonait un peu auprès de nous ; mais il cachait sous une enveloppe balourde et vulgaire un cœur pétri de la plus exquise bonté, laquelle rachetait grandement la rusticité de son langage et de ses manières ; d’ailleurs il eût été difficile de l’exclure de notre société, car il suivait le pauvre missionnaire absolument comme son ombre ; il était du reste son compagnon de cabine et le soignait de son mieux ; aussi le jeune prêtre poitrinaire l’appelait-il amicalement : « mon infirmier ». Cet excellent homme nous raconta qu’il était venu se fixer à New-York au lendemain du désastre de 1870. — « J’ai végété longtemps — nous disait-il — mais je trouvais moins durs l’exil et sa misère que le joug du vainqueur. » Le pauvre Alsacien avait des sanglots dans la voix en évoquant l’époque douloureuse. Il est plein d’espoir en la « revanche ! » Puisse son beau rêve patriotique se réaliser un jour…

Il est en ce moment à Paris, et l’hôte de son frère, marié et établi dans la grande capitale. Il habite 1 bis place des Petits-Pères où je suis moi-même comme te l’indique l’en-tête de ma lettre. Il m’a fallu céder aux instances du brave Alsacien et le suivre chez son frère, aussi brave homme que lui, semble-t-il, et qui m’offre de me garder à son logis.

Les journées à bord se suivent et se ressemblent, je n’ai donc aucun incident bien intéressant à te narrer. Je me levais dès l’aube et en compagnie de mes amis de passage, aussi matinaux que moi, j’arpentais de long en large le pont de promenade que je ne quittais que très tard dans la nuit. La température était parfois