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CŒUR MAGNANIME


V


On était au dernier jour. Plus que quelques heures et il faudrait se séparer. Cette séparation n’allait pas être sans brisement, surtout pour les deux jeunes gens ; ils savaient bien que l’absence aurait un terme ; mais il fallait attendre, et l’on sait que pour ceux qui s’aiment l’attente la moins longue a la durée d’une vie !

Pour ne pas augmenter le chagrin de Rodrigue, Anne-Marie se raidissait contre le sien et refoulait se pleurs.

L’instant tant redouté arriva. Une scène touchante — point rare dans les pieux foyers canadiens — se produisit à cette heure solennelle des adieux. Le jeune homme s’agenouilla aux pieds de son père adoptif, celui-ci étendit sur la tête inclinée et si chère ses mains tremblantes d’émotion. Quand il se releva, le vénérable vieillard le pressa longuement sur sa poitrine, puis comme jadis le vieux Tobie, il donna à l’enfant aimé qui partait sans lui ses paternels et sages conseils.

« Grave bien dans ton cœur — lui dit-il — notre fière devise canadienne : « Je me souviens ! » Oui, souviens-toi de ton vieux père et de ta digne et pieuse mère tu sais combien tu nous es cher ? Si tu n’es pas l’enfant de notre sang, tu n’en es pas moins celui de notre tendresse : que notre souvenir et celui de l’angélique enfant, que tu nommes ta sœur, te console et te sou-