Page:Monge - Coeur magnanime, 1908.djvu/32

Cette page a été validée par deux contributeurs.
34
CŒUR MAGNANIME

Si bas qu’elle eût prononcé ces derniers mots, Rodrigue les avait entendus.

— « Répète encore ce que tu viens de dire — s’écria-t-il dans un élan de bonheur. Si tu savais quel baume ces derniers mots viennent de faire descendre en mon cœur : j’ai tant souffert, ma bien-aimée ! »

Emporté par son amour passionné, il lui dévoila cette ardente tendresse qu’il sentait s’accroître chaque jour et qu’il lui fallait refouler ; il lui raconta tout ce qu’il avait enduré de souffrances depuis le jour où il croyait qu’elle n’avait plus pour lui que de l’indifférence ; il lui dit combien la jalousie ravageait son cœur à la seule pensée qu’elle en aimerait un autre que lui. Il parla longtemps, les paroles montaient pressées de son cœur à ses lèvres. Elle l’écoutait heureuse et ravie. En cet instant des tendres aveux, tous deux se trouvaient amplement consolés des douleurs passées.

Anne-Marie et Rodrigue employèrent les quelques jours qui leur restaient à jouir l’un de l’autre, à causer de leur future union, de cette douce vie à deux qu’ils envisageaient sous le plus riant aspect, à travers le prisme de leurs radieux vingt ans.

À cet âge on croit aisément au bonheur, l’amer désenchantement ne vient que rarement troubler ce court printemps de l’existence : c’est l’heure des rêves et des sourires ; laissons à la jeunesse ses joyeuses illusions ! Le temps des larmes et des décevantes réalités ne vient que trop tôt, hélas ! lui apprendre le côté véritable de la vie ; comme l’a dit un grand penseur : « le malheur est le roi d’ici-bas, tôt ou tard tout cœur est touché de son sceptre ». En ce moment les jeunes amoureux ne songeaient nullement à cette austère maxime, du moins