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CŒUR MAGNANIME

— « Rien. »

Il n’insista pas, mais, à ses paupières gonflées, il reconnut qu’elle avait pleuré. Elle alla se placer près de la fenêtre et prit sa broderie. Rodrigue debout, adossé à la cheminée, les bras croisés sur sa poitrine, la regardait. Tous deux demeurèrent longtemps sans échanger une parole. La jeune fille tenait les yeux obstinément fixés sur son ouvrage afin de cacher à son frère les traces de ses larmes.

C’était une splendide soirée de juin, l’atmosphère était tout imprégnée de cette tiède douceur si propice aux rêveries et aux abandons du cœur… À travers la fenêtre grande ouverte une brise légère leur apportait les suaves senteurs des roses et des volubilis, qui grimpaient en gracieuses guirlandes le long des colonnettes du balcon.

Rodrigue le premier rompit le silence.

« Dans huit jours à pareille heure, soupira-t-il, je serai loin déjà.

— C’est vrai — dit Anne-Marie — comme le temps fuit ! »

Il vint s’asseoir auprès d’elle, d’un geste affectueux il lui ôta des mains son ouvrage et les gardant dans les siennes :

« Tu ne m’oublieras pas, chère petite sœur ?

— Oh ! non ; mais pourquoi — ajouta-t-elle — me demandes-tu cela ?

— C’est que je sens qu’un autre bientôt t’accaparera tout entière, alors…

— Je ne me marierai jamais. »

Le ton avec lequel la jeune fille prononça ces mots était si ferme que son frère adoptif en fut surpris.