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LA RANÇON

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Le père de Marie-Louise a scrupuleusement obéi aux volontés dernières de sa fille. Il est retourné au village emportant avec lui la dépouille chérie, qu’il n’a pas voulu laisser dans ce Paris, qui lui a gâté les meilleures années de son existence et ravi son unique enfant.

Depuis la mort de la jeune fille jamais un verre d’alcool n’a approché les lèvres de Rancurel. Non-seulement il est au nombre des plus sobres du pays ; mais le vieux pasteur qui dessert le hameau ne compte pas de paroissiens plus assidus que sa « chère brebis retrouvée. » Chaque matin, avant de se rendre aux champs, le brave paysan entend dévotement la messe et lorsque, le soir, il regagne le village, il ne manque pas, après avoir souhaité un « bonsoir » au bon Dieu, d’aller s’agenouiller sur la tombe fleurie de Marie-Louise, qui dort son dernier sommeil à l’ombre de l’humble église où elle fut baptisée et dont elle aimait tant à se souvenir.

Depuis que Rancurel est revenu au pays les pauvres de la localité, voire même ceux d’alentours, sont plus largement secourus. Ceux-ci ignorent le nom de leur généreux bienfaiteur, nul doute qu’ils l’ignoreront longtemps encore ; car, lorsque ce dernier remet au bon curé la recette presque entière du fruit de ses récoltes, il ne manque pas d’ajouter : « Surtout, Monsieur le curé, ne dites rien ; il suffit que l’on sache Là-Haut, je ne veux point d’autres récompenses. »

Chaque soir, durant les longues veillées d’hiver, Rancurel va trouver le pieux curé, son meilleur ami à cette heure. Entre deux parties de cartes on cause un peu de la « petite » que celle-ci a faite enfant de Dieu et de