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LA RANÇON

Les « demi-savants » du voisinage résolvaient à leur façon le désolant problème.

« Dieu — expliquaient-ils sentencieusement — n’est qu’une pure invention cléricale ; l’autre vie, ses récompenses et ses châtiments une absurde chimère, dont on berne le peuple afin de le mieux dominer. Seul le « Destin » préside à notre entrée dans la vie et, suivant son caprice, il fait de l’homme ou un heureux ou un paria. Mais — ajoutaient-ils encore — le « Progrès », ce grand réformateur de l’humanité, allait heureusement niveler cette injuste inégalité. En attendant cette ère d’universelle jouissance, il n’y avait point d’autres remèdes, quand on ne pouvait se révolter, que de se courber devant l’inexorable fatalité. » Ainsi parlaient nos sophistes de faubourg. Leurs dissertations, aussi fausses que désespérantes, attisaient singulièrement l’envie et la haine qui grondaient sourdement dans l’âme des malheureux prolétaires. Le père de Marie-Louise était de ceux-là.

Ainsi catéchisée, ignorant que la pauvreté et son cortège de maux chrétiennement acceptés seront un jour changés par Dieu en une félicité sans fin, l’enfant trouvait qu’en effet il y avait de criantes injustices ici-bas ; elle ne le sentait jamais autant que lorsque, dans ses courses vagabondes à travers la cité, il lui arrivait de rencontrer des enfants de son âge qui, l’air confiant et joyeux, passaient la main dans celle de leur mère, laquelle les regardait tendrement en écoutant leur gai babil. Devant ce bonheur, dont elle avait été si tôt sevrée, son pauvre petit cœur se serrait, des larmes gonflaient ses yeux ; alors, plus triste et plus découragée que la veille, elle reprenait le chemin du logis froid et