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LA RANÇON

empourpré bien souvent son front. Instinctivement fière et extrêmement délicate, elle avait beaucoup souffert dans ce milieu, si peu fait pour elle ; mais, soutenue par la grâce et secondée de sa virilité naturelle, elle s’était insensiblement aguerrie pour l’apostolat, peu enviable, auquel elle avait consacré sa jeunesse, sa beauté et son cœur.

Elle savait bien que dans les grandes cités, où la bienfaisante influence du christianisme est de plus en plus supplantée par les doctrines malsaines dont on sature le peuple, cet éternel enfant qui se laisse si aisément séduire par les longues harangues des orateurs à solde, et berner par de magnifiques promesses jamais réalisées ; elle savait bien, la sainte créature, que la misère matérielle n’était point la pire détresse. Combien elle s’apitoyait sur la démoralisation régnant en souveraine chez ces êtres sans Dieu ! Mais pour atteindre leurs pauvres âmes égarées ne lui fallait-il pas aller les chercher la première ? Ils n’allaient pas venir vers elle ; elle devait donc aller à eux, fût-ce jusqu’au bord de la fange du vice ? En effet la pieuse femme ne se rebutait jamais et à chaque infortune morale ou physique, qu’on lui signalait, elle s’empressait de tendre une main secourable.

Tandis que la fillette, si hâtivement blasée de la vie où elle entrait à peine — elle n’avait pas dix ans — fixait un dernier regard, dans lequel se lisait la plus complète indifférence, sur les débris de la bouteille — qu’elle venait de briser en tombant — et sur son perfide contenu qui humectait le sol ; Sœur Thérèse, le cœur tout bouleversé, entraînait la gamine à son dispensaire. Avec un geste de mère elle étanchait le sang coulant en abondance