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UNE ŒUVRE D’ARTISTE

Le forgeron commençait à comprendre ce que le député attendait de lui et s’apprêtait à répondre à son triste interlocuteur ; mais celui-ci ne lui en laissa pas le temps, il lui tendit la main en lui donnant rendez-vous pour le dimanche suivant.

Cloué sur place, presque hébété, Guéridou le regardait s’éloigner ; il sortit à son tour écrasé par l’infernale proposition.

Quand il rentra chez lui, l’expression de son visage était si étrange que la Louise, pressentant un malheur, se prît à trembler.

Toute la semaine le malheureux soutint dans l’intime de son être une lutte effroyable. Cette croix, qui depuis cinq générations étendait sur le village ses bras protecteurs, il l’aimait encore malgré lui, elle évoquait tant de souvenirs ! — Eh quoi ? lui, Guéridou renverserait ce signe vénéré ?… mais il deviendrait la réprobation du pays ; les mânes des aïeux se lèveraient de leur tombe pour le maudire. — Non, il n’accomplira pas cet acte de déicide… Benoit sera comme son père : un humble forgeron…

L’ambition paternelle entrait aussi en lutte et parlait aussi fort que la conscience. — Le petit est d’une intelligence peu commune… sûrement il deviendra quelqu’un… d’ailleurs pourquoi hésiter ? serait-il encore l’esclave des « stupides doctrines »… cette croix, qu’est-ce donc ? un signe superstitieux. La détruire c’était faire œuvre de moralisation et de patriotisme ; le député le lui avait bien dit et c’était un « homme instruit » que le député ! Puis, là-bas, au cercle, que diraient les camarades s’il hésitait ? on le traiterait de lâche, de poltron, de calotin ; on dirait qu’il a peur… Peur de