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AMOUR


Étiez-vous des blasés, vous, Kostka, vous, Gonzague ?
Étiez-vous donc, pour fuir, à quinze ans, vos palais,
De ces disgraciés qu’avec soin l’on élague
Des grands festins, pour qui le sort n’a que sifflets ?

Veniez-vous au couvent cacher quelque blessure,
Tout fraîchement ouverte ? Ou bien à l’horizon
Aviez-vous vu soudain passer quelque ombre obscure ?
Veniez-vous de vos pleurs laver votre blason ?

Non, le monde pour vous n’eut jamais que sourire.
Tout chantait sur le bord de votre gai chemin ;
Et, pour n’épargner rien de ce qu’un cœur désire,
Vous n’aviez qu’à jeter l’argent à pleine main.

Mais vous saviez aimer, jeunes hommes sublimes !
L’amour d’un Dieu pour nous, ah ! vous l’aviez compris.
Vous vous étiez penchés sur ces divins abîmes,
Et le sacré vertige au cœur vous avait pris.

Rendre amour pour amour ! C’étaient là de votre âme
Les cris passionnés, les incessants tourments ;
C’était là le secret, c’était l’ardente flamme
Qui de la Pauvreté vous faisait les amants.

Si ce n’était l’amour, quel étrange malaise,
Et quel renversement de tout humain désir
Allait vous arracher, grande âme de Thérèse,
Cette folle parole : ou souffrir ou mourir !

Et vous, Xavier, quel feu vous brûlait la poitrine,
Pour qu’à votre renom et soif de conquérant
Ce fut peu du Japon, de l’Inde et de la Chine
En dix ans parcourus ; et pour qu’en expirant

Il vous restât au cœur une douleur sévère.
La douleur de n’avoir conquis que l’Orient ?
Quel feu sinon celui que lança le Calvaire
Au monde aveugle, alors blasphémant et riant ?