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de ce malheur, eſt celui de la vieille routine de France, continuée iuques à notre ſiecle, de conceuoir an langage Latin, par parole, & par ecrit, tous actes publics, an matiere d’Etat, de Iuſtice, de Police, de Conuantions, & choſes pareilles. Or ces Actes, aus cas de neceſſité, ont eté traduits, an langage vulgaire, par perſonnes mal vſitées an ſamblable fonction, & exprimés cruëmant, & ric à ric, au pied de la lettre : & de ces ineptes verſions, vniuerſeles, an tout le roiaume, s’eſt formée & etanduë par tout, la façon de toute mauuaiſe ecriture : comme ancore de la traduction impertinante de pluſieurs liures Latins. Le troiſieme Principe de cet inconueniant conſiſte, an la liçance, que ſe ſont donnés pluſieurs hommes, bien plus hardis, que doctes, s’antremettants la reueüe, & correction des vieus textes de liures, deſtinés à l’Imprimerie, forgeans à leur poſte, vne nouuelle ſorte d’orthographe Latine, & Françoiſe, alterans à diſcretion toute maniere de vieilles, & correctes editions de liures manuſcris, & imprimés, & couurants la terre de volumes, rangés à leur fantaſie. Par cete voie, le monde, an peu d’années, s’eſt trouué inondé de ce deluge de traductions, ecorchées du Latin, ſyllabe apres ſyllabe, pour nous donner à antandre, qu’il an faut antretenir l’analogie, la cadance, & racine, dans la langue Françoiſe, comme originaire de la Romaine.

Mais à prandre cette queſtion à ſa ſource, les Romanſiers, ou ecriuains de Romans, an proſe, & an ryme, dés le huitiéme ſiecle anuiron, ont eté les premiers auteurs de cete bigearre ecriture, tout de meme, que de la langue Romande, ou Gaulloiſe, compoſée pour la plus grand part de termes Romains Franciſés, & de quelques mots, & locutions du vieus Gaullois, leſquels Romanſiers ſuiuent pied à pied le Latin, mais an bien peu de paroles, dont il eſt aiſé de dreſſer vn liſte : & pour tout le reſte, s’an ecartent grandemant.

Les hommes doctes, bien dreſſés dés le berceau & preuenus de bons aduis contre ce deſordre, & randus ſoigneus de correctement ecrire, ſont à couuert de ce cataclyſme d’abus, & s’an preſeruent, pour leur regard, autant, que leurs ecritures ſortent an public de leur maine, & non de celle de leurs ſcribes, & copiſtes.

Mais pluſieurs ſçauans, auant qu’etre ſçauans, es iours de leur anfance, ont paſſé par les mains de maitres impertinans, qui les ont ſtylés bien long-tams, à ecrire incorrectemant an François ; & par deſaſtre, ces doctes ont contracté vne grande habitude de mal ecrire, auant que de la reconnoitre, & l’ont reconneuë trop tard, pour s’an pouuoir aiſémant ſecoüer, & defaire.

Car les ſçavans, ſont pour l’ordinaire fort aferés, & an matieres importantes : & la foule de leurs occupations ne leur permet le loiſir, & ſoin requis, à retrancher cete mauuaiſe habitude d’orthographe, & pour mieux dire, de cacographie, imbibée, inſanſiblemant dés le berceau. Mais auſſi eſt-il bien vrai, qu’ils la condamnent en leur ame, comme contraire à la bien-ſeance fort equitable, de ſe touſiours expliquer, an meme ſuiet, & memes termes, vniformemant, & par la bouche, & par la plume : ſi nous ne voulons paroitre monſtrueus, à communiquer nos conceptions : mais ils ne peuuent s’an examter, comme ils deſirent : Et il eſt notoire, que les hommes de tele ſorte ne ſe laiſſent couler à cete mauſſade routine d’ecriture, qu’auec la iuſte conſideration, qu’an certain cas, c’eſt vn moindre inconueniant de permettre à la main, & à la plume, de choper par fois an vne mauuaiſe habitude, formée dés la mammelle, & leur echapant par inaduertance, qu’an epluchant par le menu chaque lettre, retarder des expeditions bien plus importantes.

Deportez-vous doncques ci apres, Messievrs les Zelés de l’ecriture vulgaire, d’apuier votre pretanduë Coutume, ſur les fondemans caduques, & ruineus de ſon antiquité, & generalité, que nous auans ranuerſés, & ne croiez plus, de la pouuoir autoriſer du nom, & de l’approbation des Doctes de la France, qui ne lui adherent, que du bout du doit, par megarde, & auec regret, comme vous ſçauez, quoi que le diſſimuliés à deſſein. Mais oions ce que vous aués à dire de plus, an cete matiere.

II Les veſtiges formels de la langue primitiue, & originale, doiuent euidammant paroitre : & ſoigneuſemant etre gardés, an celle qui an eſt extraite, & ce, an toutes les paroles de cete extraction verbale.

L’obſeruance de cete regle n’eſt du tout point neceſſaire aus lettrés, & eſt fort inutile aus non lettrés, & partant, tout à fait ſuperfluë. Et à cete occaſion, le plus ſouuant, elle ſe treuue hors de pratique, parmi les Grecs, Latins, Gaullois, & autres peuples, bien verſés aux ſciances, & non ſeulemant és mots originaires de langage etranger, mais auſſi du domeſtique. Car nous auons, an toutes langues, l’experiance de trois chefs, au contraire de votre rigide maxime, ſçávoir eſt : Qu’on ne l’obſerue, que bien peu, voire és mots deriués d’autre langue : Qu’on la biaiſe fort, pour donner plus de douceur à la prolation, & pour des autres reſpets, és mots deſçandans d’autre langue : Qu’és paroles Françoiſes, iſſuës du langage Romain, à peine, que de trante, vne ſeule, ait aucun rapport de ſon, & d’ecriture, à ſa langue maternele.

Quant au premier ie peus fournir à force examples, tant de la langue Romaine, que des autres, que i’omets an cet androit, pour an dire ci apres quelque choſe à part. Pour le ſecond article, il s’an preſante ancore bien d’auantage, que ie ne produirai pas, d’autant que mes aduerſaires le ſçauent, s’ils ne les veulent ignorer à deſſein. Le troiſieſme chef ſamble paradoxique, & neantmoins il eſt tres-euidant, que des mots Gaullois, formés des originaus Latins, malaiſémant trouuerés vous, qu’vn ſeul antre trante, ait aucune conuenance, que de fort loin, auec ſa matrice, & dont ie pourrois faire vne liſte infinie : mais ie m’an deporte, pour n’etre annuieus au lecteur, & dont ie donnerai neantmoins vn echantillon ſur la fin de cet aduis. Or ie préuois, que vous me repliquerés à ce ſuiet vne autre de vos notables maximes, & dirés.

III Il faut ecrire correctemant, &, qui pour ce faire, on doit connoitre l’etymologie an ecriuant, pour garder le lecteur d’equiuoque.

I’aduoüe, que nous deuons pratiquer l’ecriture correct, mais ie ne vous accorde point, ſous pretexte de vos veſtiques formels de langue pritimiue, que cete pure, & reguliere façon d’ecrire conſiſte, à marquer ſur le papier des caractères oiſeus, voir importuns, & qui ne ſe font ſantir, ni oüir, an parlant, & liſant. Car, veu que vous confeſſés, que certaines lettres ne s’expriment point an liſant, & an parlant hors de lecture, à quel propos m’aſtreindrés-vous, à les pourtraire ſur le papier, hors de neceſſités, & d’vſage : & quele correction d’ecriture me figurés-vous là deſſus, ſans fondemant ?

De m’alleguer, que c’eſt pour donner aduis à mes ïeus, & à mon antandemant, de la ſource, de ces mots, par la note d’vne lettre, muete, mais non oiſeuſe : ce ſont paroles perduës : car mes ïeus ſont ceus, ou d’vn idiot,