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LEPIDUS ET SERTOBIUS 141 un mince orateur, que sa parole fut maigre, son débit mono- tone, et son oreille durel Tenaoe dans ses opinions, ne s’eifrayant d’aucun ennui, oublieux des plaisirs, il surmontait tous les obstacles. Ne se laissant jamais surprendre et n’im- provisant jamais, il était consulté à toute heure; à toute heure · · il était pret : bien peu de causes lui semblaient mauvaises, mettant enjeu, pour enlever le succès, et les ressources de À la plaidoirie, et l’influence de ses relations, et au besoin l’influence de son or sur les juges. La moitié des sénateurs étaient ses débiteurs : il tenait une foule d'hommes consi- ` dérables dans sa dépendance, ayant pour habitude d’avancer sans intéret des capitaux « à ses amis, » capitaux rembour- sablesàvolonté. Homme d’affaires avant tout, ilprètait sans distinction de partis, mettait la main dans tous les camps, et donnait volontiers crédit à quiconque était sol- vable, ou pouvait devenir utile. Quant aux meneurs, même les plus hardis, quant à ceux dont les attaques n’épargnaient ‘ personne, ils se seraient gardés d’en venir aux mains avec `Grassus : on le comparait au taureau du troupeau, qu’il y a toujours péril à irriter. Il va de soi qu'un tel homme, _ ainsi posé, n’aspirait point à un but modeste : bien plus clairvoyant que Pom pée, il savait exactement, comme le sait tout bon banquier, et quel était le but de ses spéculations politiques, et quels étaient ses partenaires. Depuis que Rome était Rome, les capitaux y avaient joué lerole d’une puissance dans l’État : au temps actuel, on arrivait à tout par l'or aussi bien que par le fer. Pendant la révolution, l’aristocratie financière avait bien pu songer à renverser l’oligarchie des antiques familles : Crassus, lui aussi, pou- vait viser à mieux qu’aux faisceaux du licteur, ou qu‘au _ b manteau brodé du triomphateur syllanien. Pour le moment, ` il avait marché avec le Sénat : mais il était trop bon financier pour se donner à un seul parti, et pour suivre · une autre route que celle de son. intéret personnel. Or, pourquoi' cet homme, le plus riche, le plus intrigant des ` Romains, nullement avare d’ailleurs, et sachant aventurer