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LE TRIBUNAT DU PEUPLE

vint à revendiquer l’admission des plébéiens dans les hautes magistratures ; mais tel n’était point le but originaire de cette fonction. Institution bien moins conquise sur un ordre privilégié dans l’ordre politique que sur la classe des riches propriétaires et des capitalistes, elle devait surtout assurer une justice équitable à l’homme du commun peuple, et procurer la gestion et l’emploi meilleur des finances. Mais ce but, elle ne l’a pas atteint ; elle ne pouvait pas l’atteindre. En vain les tribuns purent-ils parer à quelques iniquités, à quelques sévices criants. Le mal ne gisait point dans une injustice qui se serait appelée le droit, mais dans le droit lui-même, qui était tout injustice. Comment les tribuns auraient-ils pu régulièrement s’opposer à la marche régulière des institutions judiciaires ? Ils l’auraient su faire qu’ils n’eussent encore apporté qu’un remède inefficace au mal. L’appauvrissement progressif du peuple, le mécanisme mauvais des impôts et du crédit, le système funeste des occupations domaniales, tout appelait une réforme radicale : mais cette réforme, on se garda d’y mettre la main. Les plébéiens riches avaient aux abus le même intérêt que les patriciens. Il parut plus simple de fonder cette étrange institution du tribunat populaire, secours palpable et manifeste donné déjà aux plus humbles, mais demeurant en deçà des nécessités économiques du présent et de l’avenir. Loin qu’elle soit le chef-d’œuvre de la sagesse politique, elle ne fut qu’un pauvre compromis entre la noblesse opulente et la multitude sans guide et sans appui. Elle a, dit-on, sauvé Rome de la tyrannie. Quand cela serait vrai, le tribunat n’en vaudrait pas mieux : les changements dans les formes constitutionnelles ne sont pas seuls et par eux-mêmes funestes aux peuples ; et le grand malheur pour Rome peut-être, c’est que la monarchie soit venue si tard, quand déjà s’étaient épuisées les forces physiques et intellectuelles de la nation. Mais le