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LE TRIBUNAT DU PEUPLE

l’institution de la double magistrature avait moins eu en vue la protection des intérêts populaires que la violation plus facile de la promesse donnée, et que la consolidation du despotisme. Quoi qu’il en soit, le peuple souffrit ce qu’il ne pouvait empêcher. Mais la guerre ayant recommencé l’année suivante, la parole du consul ne fût plus écoutée. Il fallut un dictateur : Manius Valérius fut nommé. Les paysans romains se soumirent, moitié par respect pour l’autorité suprême, moitié par confiance envers les opinions populaires de Valérius. Le dictateur appartenait en effet à l’une de ces anciennes et nobles familles où les fonctions publiques étaient tenues à droit et à honneur sans constituer une sorte de bénéfice. La victoire demeura fidèle aux aigles romaines : mais quand au retour des vainqueurs le dictateur s’en vint proposer au sénat ses plans de réforme, tous ses efforts se brisèrent contre des refus opiniâtres. L’armée était là, tout entière réunie, comme de coutume, devant les portes de la ville. À la nouvelle du rejet de ses vœux, l’orage longtemps amoncelé éclata : l’esprit de corps, l’organisation des cadres militaires, tout concourut à faciliter la révolte ; les timides et les indifférents furent tous entraînés. L’armée quitta ses chefs et son camp ; et, sous la conduite des commandants des légions, des tribuns militaires, plébéiens pour la plupart, elle s’en alla sans se débander dans le pays de Crustumère, entre le Tibre et l’Anio ; s’y installa sur une colline[1], et fit mine de fonder une ville plébéienne dans l’une des régions les plus fertiles du territoire romain. La sécession du peuple était, pour les plus incorrigibles de ses oppresseurs, la démonstration trop certaine des conséquences d’une

  1. [Crustumère, (Crustumerium, auj. Monte-Rotondo) était au N.-E. de Fidènes ou Castel-Giubileo, dans la Sabine. On croit retrouver l’emplacement du Mont-Sacré un peu à l’E. de ce point, entre les deux rivières.]