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LIVRE II, CHAP. II

proportion même du vide laissé dans les caisses du Trésor par la suspension des taxes domaniales ; enfin les assignations s’arrêtèrent, alors qu’au regard du prolétariat des campagnes elles auraient pu servir de canal de décharge, comme font aujourd’hui, chez les peuples modernes, les émigrations régulières, organisées sur une grande échelle. Ajoutez à cela les grandes cultures qui commencent à s’établir, reléguant au loin la clientèle des petits laboureurs et n’utilisant que des bras d’esclaves. Un tel système mettait le comble à un mal désormais sans remède, et ses effets étaient plus funestes que toutes les usurpations politiques de la noblesse prises ensemble. Les guerres difficiles, parfois malheureuses, les impôts et les corvées intolérables qu’elles nécessitèrent firent le reste. Le possesseur se vit chassé de sa métairie ; il devint le valet, sinon l’esclave de son créancier ; ou ailleurs, ployant sous le faix de sa dette accumulée, il fut contraint de reprendre sa terre à bail et à terme. Les capitalistes voyaient s’ouvrir devant eux tout un champ de spéculations sûres, faciles et fructueuses : ils se jetèrent avec ardeur dans cette voie nouvelle ; tantôt devenant grands propriétaires par eux-mêmes ; tantôt laissant ce nom de propriétaire et la possession de fait à l’habitant des campagnes, dont ils avaient dans la main avec leur titre de créance, et la personne et les biens. Cette dernière condition, en même temps qu’elle devint la plus habituelle, était aussi la plus déplorable. En vain, pour tel malheureux débiteur, la catastrophe était un instant ajournée, le précaire le mettait à la merci absolue de son créancier : de la propriété, il ne récoltait plus que les charges, et toute la classe rurale se sentait poussée à la démoralisation et à l’annihilation politique. En voulant empêcher l’accumulation des dettes foncières et faire peser les charges publiques sur le possesseur réel du fond et de la terre,