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GUERRE ENTRE ROME ET LE ROI PYRRHUS

que la douteuse parole d’un voisin ambitieux. Le succès couronnant leurs entreprises, ils n’avaient plus ni l’un ni l’autre dans leur patrie le centre et le noyau de leur nouvel empire : mais combien il était plus facile de transporter à Babylone le siège de la monarchie militaire Macédonienne, que d’aller fonder à Tarente ou à Syracuse la dynastie d’un soldat heureux ! Toute agonisante qu’elle semblât sans cesse, la démocratie des républiques Grecques ne se laissa jamais refouler dans le cadre étroit d’un État militaire : Philippe connaissait à fond celles-ci ; et il se garda de les incorporer à son royaume. En Orient, au contraire, il n’y avait nulle résistance nationale à craindre : races souveraines et races asservies vivaient pêle-mêle depuis des siècles. Changer de maître était chose indifférente aux masses, quand encore elles ne désiraient pas ce changement. En Occident, si les Samnites, les Carthaginois, les Romains même n’étaient point invincibles, jamais conquérant du moins n’eut pu transformer les Italiques en des fellahs d’Égypte, ou condamner le paysan Romain à payer une censive au profit de quelque baron Grec. Où que vous jetiez les yeux, puissance et alliés de l’agresseur, forces défensives du royaume envahi, tout vous fait regarder comme exécutable le plan conçu par le roi Macédonien ; tout vous fait voir dans l’expédition de l’Épirote une entreprise impossible : là, l’accomplissement d’une grande vocation politique ; ici, un coup manqué, mémorable d’ailleurs : là, les fondements jetés d’un nouveau système d’empires et d’une civilisation nouvelle ; ici, un simple épisode dans le grand drame de l’histoire. Aussi l’édifice construit par Alexandre a-t-il survécu à sa mort prématurée : Pyrrhus, avant de mourir, devait voir de ses propres yeux tous ses plans à vau-l’eau. Grandes et fortes natures tous les deux : mais l’un ne fut que le premier général de son temps, l’autre en fut le plus puissant homme d’État : et s’il est permis