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LIVRE I, CHAPITRE III

air, et sans qu’on ose affirmer que cette raison seule suffise pour l’explication du phénomène, il est vraisemblable pourtant que le sol, ainsi ameubli à la surface, se prêterait mieux à l’épuisement des eaux mortes qu’il recèle. Quoi qu’il en soit, un fait constant et qui nous étonnera toujours, c’est l’accumulation au temps passé, d’une population agricole nombreuse, dans un pays qui aujourd’hui ne la comporte plus sans qu’aussitôt la maladie la dévore, et où le voyageur ne peut séjourner une seule nuit sans être atteint. Telles ont été pourtant la campagne de Rome, et les terres basses de Sybaris et de Métaponte. Faut-il expliquer ce problème en disant qu’à l’état semi-barbare, les peuples ont l’instinct plus vrai des conditions physiques au milieu desquelles ils vivent ; qu’ils s’accommodent plus docilement à leurs exigences ; et qu’ils jouissent même d’une constitution corporelle plus élastique, ou mieux appropriée au sol ? Nous voyons aujourd’hui encore le laboureur de la Sardaigne accomplir sa tâche au milieu des mêmes dangers : là aussi, l’aria cattiva règne ; et pourtant il sait échapper à son influence, soit par le mode de son vêtement, soit par le choix intelligent de sa nourriture et de ses heures de travail. De fait, les meilleurs moyens de défense consistent à porter la toison des animaux, à allumer des feux qui flambent : or, nous savons que le paysan romain ne sortait que couvert d’épaisses étoffes de laine, et ne laissait jamais s’éteindre son foyer. Du reste, la campagne Latine avait son charme pour un peuple laboureur : sans être d’ailleurs d’une fertilité surprenante pour l’Italie, le sol y est léger : la pioche et la houe de l’émigrant ont pu l’entamer sans peine ; il ne demandait que peu ou point de fumure ; et le froment y rend environ cinq grains pour un[1]. Quant à l’eau potable, elle est assez rare : de

  1. Un statisticien français, M. DUREAU DE LA MALLE (Économ. polit. des Romains, t. II, p. 226), compare la Limagne d’Auvergne à la campagne de Rome : là aussi, l’on rencontre une plaine vaste, mais inégale et ravinée, et dont le sol est un amas de cendres et de laves décomposées, provenant d’anciens volcans éteints. La population (2,500 âmes par lieue carrée, au moins) est l’une des plus denses qui se voient en pays purement agricole. La propriété y est extrêmement divisée. La culture ne s’y fait presque que de main d’homme, avec la bêche, le hoyau et la pioche ; quelquefois, mais rarement, une charrue légère, attelée de deux vaches, les remplace ; ou même encore, à côté de la bête unique de trait, la femme du paysan tire la charrue. L’attelage est à deux fins : il donne son lait et travaille à la culture. Le champ donne deux récoltes annuelles : une en blé, une en fourrage, sans jamais se reposer par la jachère. Le fermage moyen annuel est de 100 fr. par arpent. Si cette même contrée appartenait à six ou sept grands propriétaires, les régisseurs et les ouvriers à la journée y remplaceraient bientôt la main d’œuvre du petit labour, et l’on verrait en moins d’un siècle, nul n’en peut douter, la riche Limagne transformée en un désert triste et misérable autant que l’est aujourd’hui la campagne de Rome.