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LIVRE I, CHAPITRE II

la prudence, la richesse, la force : Il a été donné aux Grecs d’obéir par-dessus tout à la bienheureuse suprématie du beau. Sensuel et idéal tout ensemble, leur culte enthousiaste s’attache au brillant et toujours jeune Erôs ; et quand leur courage faiblit dans les combats, la voix d’un chantre divin les ranime.

Telles étaient les deux nations par qui l’antiquité a atteint le point culminant de sa civilisation ; il y a chez elles parité de naissance, et divergence des voies parcourues. Les Hellènes ont eu sur leurs rivaux l’avantage de l’intelligence plus compréhensive, et d’un plus lumineux éclat : mais le sentiment profond de l’universel dans le particulier ; l’abnégation volontaire et le sacrifice personnel ; la croyance sévère et ferme dans les dieux du pays, sont restés la richesse de la nation italique. L’un et l’autre peuple a suivi chacun sa route, et chacun aussi avec un égal et complet succès ! Il y aurait petitesse d’esprit à reprocher à l’Athénien de n’avoir pas su comprendre la cité comme les Fabius et les Valérius ; ou au Romain de n’avoir pas appris à sculpter comme Phidias, à écrire les vers comme Aristophane.

Ce furent ses qualités les meilleures et les plus exclusives qui rendirent impossible au peuple grec le passage de l’unité nationale à l’unité politique, sans échanger aussi les libertés civiques contre le despotisme. Le monde du beau idéal était tout pour l’Hellène, et compensait ce qui lui faisait défaut dans le cercle de la vie réelle. Quand nous voyons les aspirations vers l’unité en Grèce se manifester dans les tendances populaires, tenons pour certain qu’elles ont bien moins pour mobiles les conseils directs de la politique, que l’entraînement des jeux et des arts. Les luttes olympiques, les chants des homérides, la tragédie d’Euripide, voilà les liens qui rattachaient les Grecs en un seul faisceau. L’Italien, au contraire, immola sans réserve son libre arbitre à la liberté