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LIVRE I, CHAPITRE II

sance de la mémoire ; et la bona Dea ou Dea cupra des Samnites est la bonne déesse. Chez les Grecs tout est concret : tout prend un corps ; chez les Romains l’abstraction et ses formules parlent seules à l’esprit : les premiers rejettent en grande partie les légendes des anciens temps, parce qu’elles sont trop simples, et que leur plastique est trop nue : le Romain les repousse bien davantage encore, parce que l’allégorie, même sous le plus léger de ses voiles, vient obscurcir la sainteté sévère de ses idées pieuses. Il n’a pas conservé le plus lointain souvenir des mythes primitifs qui ont couru le monde ; il ne sait rien, par exemple, du Père commun des hommes survivant à un immense déluge, alors que la tradition s’en est conservée chez les Indiens, les Grecs, et même chez les Sémites. Les dieux de Rome ne se marient pas : ils n’engendrent point d’enfants comme les dieux grecs ; ils ne circulent pas invisibles parmi les mortels ; ils n’ont pas besoin de boire le nectar. Ces notions immatérielles sembleront bien effacées à des critiques superficiels : et pourtant tout démontre quelle impression profonde et vivace elles avaient faite sur les âmes. Si l’histoire ne disait pas combien elles ont exercé plus de puissance que n’en eurent jamais en Grèce les figures divines créées à l’image des hommes, le nom tout romain, de la Religion (Religio), expression du lien moral par lequel elle nous attache, nous apporterait aussitôt une idée et une appellation qui n’ont rien de commun avec la langue et la pensée des Hellènes. Comme l’Inde et l’Iran avaient puisé aux mêmes sources, l’une, les formes pleines et splendides de son épopée religieuse ; l’autre les abstractions du Zend-Avestâ, ainsi les mêmes notions religieuses ont été le point de départ des mythologies grecque et romaine. Mais, tandis qu’en Grèce on s’attache davantage à la personne des dieux, à Rome l’idée de la Divinité prédomine. En Grèce, l’imagination se meut dans