Page:Mommsen - Histoire romaine - Tome 1.djvu/330

Cette page a été validée par deux contributeurs.
310
LIVRE I, CHAP. XV

chant le nom seul du chanteur sacré, du vates, lui fait ressentir une impression profonde et mystérieuse. Toutefois il y a loin de là à obéir, comme l’ont fait les Grecs, à l’entraînement des beaux-arts : bientôt les impressions premières s’effacent, et les Romains abandonnent le culte des arts à des femmes ou à des enfants, à des corporations ou à des ouvriers libres. Nous savons que les nénies étaient chantées par des femmes, les chants de table par de jeunes garçons : les hymnes religieux se disaient aussi par la bouche des enfants. Les joueurs d’instruments étaient organisés en collège : les danseurs et les pleureuses (præficæ) exerçaient un métier indépendant. La danse, la musique instrumentale et le chant furent toujours en Grèce ce qu’ils avaient été un instant dans le Latium, des professions honorées, utiles aux citoyens et à l’ornement de la cité. Mais les Romains des hautes classes délaissèrent à l’envi ces arts trop vains à leurs yeux : et leur dédain alla croissant à mesure que s’accroissait leur publicité, et que les innovations étrangères leur imprimaient un nouvel essor. Ils toléraient volontiers la flûte, mais ils ne voulurent point de la lyre : ils toléraient les jeux des masques, mais ils ne prirent point intérêt aux luttes de la palæstre, pour ne pas dire qu’ils méprisèrent les lutteurs. En Grèce, les arts des Muses sont le trésor de chacun et de tous, et le fond commun de la culture nationale : chez les Latins, ils n’ont bientôt plus accès dans le sentiment populaire ; ils deviennent d’humbles métiers sous tous les rapports : la grande pensée d’élever avec leur aide une jeunesse brillante et nationale, s’est tout à fait perdue. La jeunesse romaine vit enfermée dans l’étroite enceinte de la maison paternelle. Le fils reste aux côtés de son père : il l’accompagne dans les champs, maniant la charrue ou la faucille ; il l’accompagne chez ses amis, dont il est l’hôte dans la salle des assemblées, quand il