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LIVRE I, CHAP. XII

morphique avec son cycle légendaire et idéal. À Rome, la notion première reste attachée à son point de départ, dans sa rigide nudité. N’allez point chercher là les images glorieuses, tout à la fois terrestres et idéales, du culte d’Apollon ; les ivresses divines du Bacchus Dionysos, les dogmes profonds et cachés sous les rites et les mystères du mythe de la Terre (Χθών). La religion romaine n’a rien qui se rapproche de ces conceptions si savantes ; elle n’a rien à leur opposer qui lui soit propre. Elle a bien la notion d’un dieu mauvais (Ve-jovis)[1] ; elle invoque les dieux du mauvais air, de la fièvre, des maladies, du vol même (Laverna)[2] ; elle a ouï parler d’apparitions et de revenants (lemures) ; mais ce frisson mystérieux que recherche le cœur, elle ne sait pas l’éveiller en lui ; elle n’aime point à se mêler avec les choses incompréhensibles, avec les principes mauvais répandus dans la nature et dans l’homme, auxquels cependant touche toute religion complète, par cela même qu’elle nous enveloppe tout entiers. Dans le culte romain rien n’est secret, si ce n’est le nom des dieux de la ville, des Pénates : encore la nature de ces dieux est-elle connue du vulgaire.

La théologie nationale des Romains s’efforça toujours de rendre sensibles, intelligibles, les phénomènes et les attributs de la divinité. Elle voulut les traduire en relief dans les mots de sa terminologie ; les classifier, en transportant toutefois dans sa nomenclature les distinctions des personnes et des choses selon les principes du droit privé ; elle s’astreignit elle-même à ses propres règles dans les invocations ; et elle les imposa à la foule en lui communiquant ses listes et ses formules (indi-

  1. [V. sur le Ve-jovis, Preller, p. 235.]
  2. [Laverna, déesse des voleurs. — Est autem dea furum, dit un ancien commentateur d’Horace, Epod., I, 16, 57 et suiv. Elle avait son autel sur la voie Salaria].