MOLIERE ET LA COMEDIE
PAR LA HARPE
I
LE MOLIÈRE
L’éloge d’un écrivain est dans ses ouvrages ; on pourrait dire que l’éloge de Molière est dans ceux des écrivains qui l’ont précédé et qui l’ont suivi, tant les uns et les autres sont loin de lui. Des hommes de beaucoup d’esprit et de talent ont travaillé après lui, sans pouvoir ni lui ressembler ni l’atteindre. Quelques-uns ont eu de la gaieté, d’autres ont su faire des vers ; plusieurs même ont peint des mœurs. Mais la peinture de l’esprit humain a été l’art de Molière ; c’est la carrière qu’il a ouverte et qu’il a fermée : il n’y a rien en ce genre, ni avant lui ni après.
Molière est, de tous ceux qui ont jamais écrit, celui qui a le mieux observé l’homme, sans annoncer qu’il l’observait ; et même il a plus l’air de le savoir par cœur que de l’avoir étudié. Quand on ht ses pièces avec réflexion, ce n’est pas de l’auteur qu’on est étonné, c’est de soi-même. Mohère n’est jamais fin : il est profond ; c’est-à-dire que, lorsqu’il a donné son coup de pinceau, il est impossible d’aller au delà. Ses comédies, bien lues, pourraient suppléer à l’expérience, non pas parce qu’il a peint des ridicules qui passent, mais parce qu’il a peint l’homme, qui ne change point. C’est une suite de traits dont aucun n’est perdu : celui-ci est pour moi, celui-là est pour mon voisin. Et ce qui prouve le plaisir que procure une imitation parfaite, c’est que mon voisin et moi nous rions de très bon cœur de nous voir ou sots, ou faibles, ou impertinents, et que nous serions furieux si l’on