auteur de cent louis, et lui donna le plan des Frères ennemis. Il n’est peut-être pas inutile de dire qu’environ dans le même temps, c’est-à-dire en 1661, Racine ayant fait une ode sur le mariage de Louis XIV, M. Colbert lui envoya cent louis au nom du roi. Il est très triste pour l’honneur des lettres que Molière et Racine aient été brouillés depuis ; de si grands génies, dont l’un avait été le bienfaiteur de l’autre, devaient être toujours amis.
Il éleva et il forma un autre homme, qui, par la supériorité de ses talents et par les dons singuliers qu’il avait reçus de la nature, mérite d’être connu de la postérité. C’était le comédien Baron, qui a été unique dans la tragédie et dans la comédie. Molière en prit soin comme de son propre fils. Un jour, Baron vint lui annoncer qu’un comédien de campagne, que la pauvreté empêchait de se présenter, lui demandait quelques légers secours pour aller rejoindre sa troupe. Molière, ayant su que c’était un nommé Mondorge, qui avait été son camarade, demanda à Baron combien il croyait qu’il fallait lui donner. Celui-ci répondit au hasard : « Quatre pistoles. — Donnez-lui quatre pistoles pour moi, lui dit Molière ; en voilà vingt qu’il faut que vous lui donniez pour vous » ; et il joignit à ce présent celui d’un habit magnifique. Ce sont de petits faits ; mais ils peignent le caractère.
Un autre trait mérite plus d’être rapporté. Il venait de donner l’aumône à un pauvre : un instant après le pauvre court après lui, et lui dit : « Monsieur, vous n’aviez peut-être pas dessein de me donner un louis d’or, je viens vous le rendre.
— Tiens, mon ami, dit Molière, en voilà un autre » ; et il s’écria : « Où la vertu va-t-elle se nicher ! » Exclamation qui peut faire voir qu’il réfléchissait sur tout ce qui se présentait à lui, et qu’il étudiait partout la nature, en homme qui la voulait peindre.
Molière, heureux par ses succès et par ses protecteurs, par ses amis et par sa fortune, ne le fut pas dans sa maison. Il avait épousé, en 1661, une jeune fille née de la Béjart et d’un gentilhomme nommé Modène. On disait que Molière en était le père : le soin avec lequel on avait répandu cette calomnie fit que plusieurs personnes prirent celui de la réfuter. On prouva que Molière n’avait connu la mère qu’après la naissance de cette fille. La disproportion d’âge et les dangers auxquels une comédienne jeune et belle est exposée rendirent ce mariage malheureux, et Molière, tout philosophe qu’il était d’ailleurs, essuya dans son domestique les dégoûts, les amer-