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Et ne me portez point à quelque désespoir,
En vous servant sur moi de tout votre pouvoir.

ORGON, se sentant attendrir.

Allons, ferme, mon cœur ! point de foiblesse humaine !

MARIANE.

Vos tendresses pour lui ne me font point de peine ;
Faites-les éclater, donnez-lui votre bien,
Et, si ce n’est assez, joignez-y tout le mien :
J’y consens de bon cœur, et je vous l’abandonne ;
Mais, au moins, n’allez pas jusques à ma personne,
Et souffrez qu’un couvent dans les austérités,
Use les tristes jours que le ciel m’a comptés.

ORGON.

Ah ! voilà justement de mes religieuses,
Lorsqu’un père combat leurs flammes amoureuses !
Debout. Plus votre cœur répugne à l’accepter,
Plus ce sera pour vous matière à mériter.
Mortifiez vos sens avec ce mariage.
Et ne me rompez pas la tête davantage.

DORINE.

Mais quoi !…

ORGON.

Mais quoi !…Taisez-vous, vous ! Parlez à votre écot[1] ;
Je vous défends tout net d’oser dire un seul mot.

CLÉANTE.

Si par quelque conseil vous souffrez qu’on réponde…

ORGON.

Mon frère, vos conseils sont les meilleurs du monde :
Ils sont bien raisonnes, et j’en fais un grand cas ;
Mais vous trouverez bon que je n’en use pas.

ELMIRE, à Orgon.

À voir ce que je vois, je ne sais plus que dire.
Et votre aveuglement fait que je vous admire.
C’est être bien coiffé, bien prévenu de lui,
Que de nous démentir sur le fait d’aujourd’hui !

  1. Pour : prenez la part qui vous revient du discours. Expression proverbiale qui se retrouve dans l’écossais, scot-elot.