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ACTE I, SCÈNE 1 387

PHILINTE.

Mais sérieusement, que voulez-vous qu’on fasse ?
ALCESTE.

Je veux qu’on soit sincère, et qu’en homme d’honneur,
On ne lâche aucun mot qui ne parte du cœur.
PHILINTE.

Lorsqu’un homme vous vient embrasser avec joie.
Il faut bien le payer de la même monnoie.
Répondre, comme on peut, à ses empressements.
Et rendre offre pour offre, et serments pour serments.
ALCESTE.

Non, je ne puis souffrir cette lâche méthode
Qu’affectent la plupart de vos gens à la mode ;
Et je ne hais rien tant que les contorsions
De tous ces grands faiseurs de protestations.
Ces affables donneurs d’embrassades frivoles.
Ces obligeants diseurs d’inutiles paroles,
Qui de civilités avec tous font combat,
Et traitent du même air l’honnête homme et le fat.
Quel avantage a-t-on qu’un homme vous caresse,
Vous jure amitié, foi, zèle, estime, tendresse.
Et vous fasse de vous un éloge éclatant,
Lorsqu’au premier faquin il court en faire autant ?
Non, non, il n’est point d’âme un peu bien située,
Qui veuille d’une estime ainsi prostituée.
Et la plus glorieuse a des régals peu chers,
Dès qu’on voit qu’on nous mêle avec tout l’univers ;
Sur quelque préférence une estime se fonde,
Et c’est n’estimer rien qu’estimer tout le monde.
Puisque vous y donnez, dans ces vices du temps.
Morbleu ! vous n’êtes pas pour être de mes gens ;
Je refuse d’un cœur la vaste complaisance
Qui ne fait de mérite aucune différence ;
Je veux qu’on me distingue, et, pour le trancher net,
L’ami du genre humain n’est point du tout mon fait.
PHILINTE.

Mais, quand on est du monde, il faut bien que l’on rende
Quelques dehors civils que l’usage demande.
ALCESTE.

Non, vous dis-je, on devrait châtier sans pitié
Ce commerce honteux de semblants d’amitié.