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ACTE I, SCÈNE 1


Cléante.

Mais, madame, après tout…

Madame Pernelle.

xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxPour vous, monsieur son frère,
Je vous estime fort, vous aime, et vous révère ;
Mais enfin, si j’étais de mon fils, son époux.
Je vous prierais bien fort de n’entrer point chez nous.
Sans cesse vous prêchez des maximes de vivre
Qui par d’honnêtes gens ne se doivent point suivre.
Je vous parle un peu franc ; mais c’est là mon humeur,
Et je ne mâche point ce que j’ai sur le cœur.

Damis.

Votre monsieur Tartuffe est bien heureux, sans doute…

Madame Pernelle.

C’est un homme de bien, qu’il faut que l’on écoute ;
Et je ne puis souffrir sans me mettre en courroux
De le voir querellé par un fou comme vous.

Damis.

Quoi ? je souffrirai, moi, qu’un cagot de critique
Vienne usurper céans un pouvoir tyrannique,
Et que nous ne puissions à rien nous divertir,
Si ce beau monsieur-là n’y daigne consentir ?

Dorine.

S’il le faut écouter et croire à ses maximes,
On ne peut faire rien qu’on ne fasse des crimes ;
Car il contrôle tout, ce critique zélé.

Madame Pernelle.

Et tout ce qu’il contrôle est fort bien contrôlé.
C’est au chemin du ciel qu’il prétend vous conduire.
Et mon fils à l’aimer vous devrait tous induire.

Damis.

Non, voyez-vous, ma mère, il n’est père ni rien
Qui me puisse obliger à lui vouloir du bien :
Je trahirais mon cœur de parler d’autre sorte ;
Sur ses façons de faire à tous coups je m’emporte ;
J’en prévois une suite, et qu’avec ce pied plat
Il faudra que j’en vienne à quelque grand éclat.

Dorine.

Certes, c’est une chose aussi qui scandalise.
De voir qu’un inconnu céans s’impatronise,