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Harpagon

Tu ne t’es pas départi d’y prétendre ?

Cléante

Au contraire, j’y suis porté plus que jamais.

Harpagon

Quoi, pendard, derechef ?

Cléante

Rien ne peut me changer.

Harpagon

Laisse-moi faire, traître.

Cléante

Faites tout ce qu’il vous plaira.

Harpagon

Je te défends de me jamais voir.

Cléante

À la bonne heure.

Harpagon

Je t’abandonne.

Cléante

Abandonnez.

Harpagon

Je te renonce pour mon fils.

Cléante

Soit.

Harpagon

Je te déshérite.

Cléante

Tout ce que vous voudrez.

Harpagon

Et je te donne ma malédiction.

Cléante

Je n’ai que faire de vos dons[1].

  1. Cette scène, on l’a vu dans l’avertissement, a été blamée par Rousseau, qui a trouvé dans Champfort et La Harpe des contradicteurs très-sensés. Voici ce que dit Chamfort : « Si Molière a peint des mœurs vicieuses, c’est qu’elles existent, et quand l’esprit général de sa pièce emporte leur condamnation, il a rempli sa tâche, il est un vrai philosophe et un homme vertueux. Si le jeune Cléante à qui sont père donne sa malédiction, sort en disant : Je n’ai que faire de vos dons, a-t-on pu se méprendre à l’intention du poëte ? Il eût pu sans doute représenter ce fils toujours respectueux envers un père barbare ; il eût edifié davantage en associant un tyran et une victime ; mais la vérité, mais la force de la leçon que le poëte veut donner aux pères avares, que devenoient-elles ? » M. Saint-Marc Girardin a transporté la situation dans le drame