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Mais la fresque est pressante, et veut, sans complaisance,
Qu’un peintre s’accommode à son impatience,
La traite à sa manière, et, d’un travail soudain,
Saisisse le moment qu’elle donne à sa main.
La sévère rigueur de ce moment qui passe
Aux erreurs d’un pinceau ne fait aucune grâce ;
Avec elle il n’est point de retour à tenter,
Et tout, au premier coup, se doit exécuter.
Elle veut un esprit où se rencontre unie
La pleine connoissance avec le grand génie,
Secouru d’une main propre à le seconder,
Et maîtresse de l’art jusqu’à le gourmander,
Une main prompte à suivre un beau feu qui la guide,
Et dont, comme un éclair, la justesse rapide
Répande dans ses fonds, à grands traits non tâtés,
De ses expressions les touchantes beautés.
C’est par là que la fresque, éclatante de gloire,
Sur les honneurs de l’autre emporte la victoire,
Et que tous les savants, en juges délicats,
Donnent la préférence à ses mâles appas.
Cent doctes mains chez elle ont cherché la louange
Et Jules, Annibal, Raphaël, Michel-Ange,
Les Mignards de leur siècle, en illustres rivaux,
Ont voulu par la fresque ennoblir leurs travaux.

Nous la voyons ici doctement revêtue
De tous les grands attraits qui surprennent la vue.
Jamais rien de pareil n’a paru dans ces lieux ;
Et la belle inconnue a frappé tous les yeux.
Elle a non-seulement, par ses grâces fertiles,
Charmé du grand Paris les connoisseurs habiles,
Et touché de la cour le beau monde savant ;
Ses miracles encore ont passé plus avant,
Et de nos courtisans les plus légers d’étude
Elle a pour quelque temps fixé l’inquiétude,
Arrêté leur esprit, attaché leurs regards,
Et fait descendre en eux quelque goût des beaux-arts
Mais ce qui, plus que tout, élève son mérite,
C’est de l’auguste Roi l’éclatante visite ;
Ce monarque, dont l’âme aux grandes qualités
Joint un goût délicat des savantes beautés,
Qui, séparant le bon d’avec son apparence,