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Et, plein de son image, il se peint en tous lieux.
Il nous enseigne aussi les belles draperies,
De grands plis bien jetés suffisamment nourries,
Dont l’ornement aux yeux doit conserver le nu,
Mais qui, pour le marquer, soit un peu retenu,
Qui ne s’y colle point, mais en suive la grâce,
Et, sans la serrer trop, la caresse et l’embrasse.
Il nous montre à quel air, dans quelles actions,
Se distinguent à l’œil toutes les passions ;
Les mouvements du cœur, peints d’une adresse extrême,
Par des gestes puisés dans la passion même,
Bien marqués pour parler, appuyés, forts, et nets,
Imitant en vigueur les gestes des muets,
Qui veulent réparer la voix que la nature
Leur a voulu nier, ainsi qu’à la peinture.

Il nous étale enfin les mystères exquis
De la belle partie où triompha Zeuxis[1],
Et qui, le revêtant d’une gloire immortelle,
Le fit aller de pair avec le grand Apelle :
L’union, les concerts, et les tons des couleurs,
Contrastes, amitiés, ruptures, et valeurs,
Qui font les grands effets, les fortes impostures,
L’achèvement de l’art, et l’ame des figures.
Il nous dit clairement dans quel choix le plus beau
On peut prendre le jour et le champ du tableau :
Les distributions et d’ombre et de lumière
Sur chacun des objets et sur la masse entière ;
Leur dégradation dans l’espace de l’air
Par les tons différents de l’obscur et du clair,
Et quelle force il faut aux objets mis en place
Que l’approche distingue et le lointain efface ;
Les gracieux repos que, par des soins communs,
Les bruns donnent aux clairs, comme les clairs aux bruns,
Avec quel agrément d’insensible passage
Doivent ces opposés entrer en assemblage,
Par quelle douce chute ils doivent y tomber,
Et dans un milieu tendre aux yeux se dérober,
Ces fonds officieux qu’avec art on se donne,
Qui reçoivent si bien ce qu’on leur abandonne ;

  1. Le coloris, troisième partie de la peinture.
    (Note de Molière.)