Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 3.djvu/713

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Comme un ample théâtre heureusement fournie,
Es venu déployer les précieux trésors
Que le Tibre t’a vu ramasser sur ses bords ;
Dis-nous, fameux Mignard, par qui te sont versées
Les charmantes beautés de tes nobles pensées,
Et dans quel fonds tu prends cette variété
Dont l’esprit est surpris, et l’œil est enchanté.
Dis-nous quel feu divin, dans tes fécondes veilles,
De tes expressions enfante les merveilles ;
Quels charmes ton pinceau répand dans tous ses traits
Quelle force il y mêle à ses plus doux attraits,
Et quel est ce pouvoir qu’au bout des doigts tu portes.
Qui sait faire à nos yeux vivre des choses mortes
Et, d’un peu de mélange et de bruns et de clairs,
Rendre esprit la couleur, et les pierres des chairs.

Tu te tais, et prétends que ce sont des matières
Dont tu dois nous cacher les savantes lumières,
Et que ces beaux secrets, à tes travaux vendus,
Te coûtent un peu trop pour être répandus ;
Mais ton pinceau s’explique et trahit ton silence ;
Malgré toi, de ton art il nous fait confidence ;
Et, dans ses beaux efforts à nos yeux étalés,
Les mystères profonds nous en sont révélés.
Une pleine lumière ici nous est offerte ;
Et ce dôme pompeux est une école ouverte,
Où l’ouvrage, faisant l’office de la voix,
Dicte de ton grand art les souveraines lois.
Il nous dit fortement les trois nobles parties[1]
Qui rendent d’un tableau les beautés assorties,
Et dont, en s’unissant, les talents relevés
Donnent à l’univers les peintres achevés.

Mais des trois, comme reine, il nous expose celle[2]
Que ne peut nous donner le travail, ni le zèle ;
Et qui, comme un présent de la faveur des cieux,
Est du nom de divine appelée en tous lieux ;
Elle dont l’essor monte au-dessus du tonnerre,
Et sans qui l’on demeure à ramper contre terre.
Qui meut tout, règle tout, en ordonne à son choix,

  1. L’invention, le dessin, le coloris.
    (Note de Molière.)
  2. L’invention, première partie de la peinture.
    (Note de Molière.)