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Frosine.

Mon Dieu ! tous ces blondins sont agréables, et débitent fort bien leur fait ; mais la plupart sont gueux comme des rats ; il vaut mieux, pour vous, de prendre un vieux mari qui vous donne beaucoup de bien. Je vous avoue que les sens ne trouvent pas si bien leur compte du côté que je dis, et qu’il y a quelques petits dégoûts à essuyer avec un tel époux ; mais cela n’est pas pour durer ; et sa mort, croyez-moi, vous mettra bientôt en état d’en prendre un plus aimable, qui réparera toutes choses.

Mariane

Mon Dieu ! Frosine, c’est une étrange affaire, lorsque, pour être heureuse, il faut souhaiter ou attendre le trépas de quelqu’un ; et la mort ne suit pas tous les projets que nous faisons.

Frosine

Vous moquez-vous ? Vous ne l’épousez qu’aux conditions de vous laisser veuve bientôt ; et ce doit être là un des articles du contrat. Il seroit bien impertinent de ne pas mourir dans trois mois ! Le voici en propre personne.

Mariane

Ah ! Frosine, quelle figure !


Scène IX.

HARPAGON, MARIANE, FROSINE.
Harpagon, à Mariane.

Ne vous offensez pas, ma belle, si je viens à vous avec des lunettes. Je sais que vos appas frappent assez les yeux, sont assez visibles d’eux-mêmes, et qu’il n’est pas besoin de lunettes pour les apercevoir ; mais enfin, c’est avec des lunettes qu’on observe les astres ; et je maintiens et garantis que vous êtes un astre, mais un astre, le plus bel astre qui soit dans le pays des astres. Frosine, elle ne répond mot, et ne témoigne, ce me semble, aucune joie de me voir.

Frosine

C’est qu’elle est encore toute surprise ; et, puis, les filles ont toujours honte à témoigner d’abord ce qu’elles ont dans l’âme.

Harpagon, à Frosine.

Tu as raison. (à Mariane.) Voilà, belle mignonne, ma fille qui vient vous saluer.