Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 3.djvu/669

Cette page a été validée par deux contributeurs.

béralde.

Par la raison, mon frère, que les ressorts de notre machine sont des mystères, jusques ici, où les hommes ne voient goutte ; et que la nature nous a mis au-devant des yeux des voiles trop épais pour y connoître quelque chose.

argan.

Les médecins ne savent donc rien, à votre compte ?

béralde.

Si fait, mon frère. Ils savent la plupart de fort belles humanités, savent parler en beau latin, savent nommer en grec toutes les maladies, les définir et les diviser ; mais, pour ce qui est de les guérir, c’est ce qu’ils ne savent pas du tout[1].

argan.

Mais toujours faut-il demeurer d’accord que, sur cette matière, les médecins en savent plus que les autres.

béralde.

Ils savent, mon frère, ce que je vous ai dit, qui ne guérit pas de grand’chose : et toute l’excellence de leur art consiste en un pompeux galimatias, en un spécieux babil, qui vous donne des mots pour des raisons, et des promesses pour des effets.

argan.

Mais enfin, mon frère, il y a des gens aussi sages et aussi habiles que vous ; et nous voyons que, dans la maladie, tout le monde a recours aux médecins.

béralde.

C’est une marque de la foiblesse humaine, et non pas de la vérité de leur art.

argan.

Mais il faut bien que les médecins croient leur art véritable, puisqu’ils s’en servent pour eux-mêmes.

béralde.

C’est qu’il y en a parmi eux qui sont eux-mêmes dans l’erreur populaire, dont ils profitent ; et d’autres qui en profitent sans y être. Votre monsieur Purgon, par exemple, n’y sait point de finesse ; c’est un homme tout médecin, depuis la tête jusqu’aux pieds ; un homme qui croit à ses

  1. Montaigne a dit : « Les médecins connoissent bien Gallien, mais nullement le malade. »