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argan.

D’où vient, mon frère, que je suis maître dans ma famille, pour faire ce que bon me semble ?

béralde.

Votre femme ne manque pas de vous conseiller de vous défaire ainsi de vos deux filles ; et je ne doute point que, par un esprit de charité, elle ne fût ravie de les voir toutes deux bonnes religieuses.

argan.

Oh çà ! nous y voici. Voilà tout d’abord la pauvre femme en jeu. C’est elle qui fait tout le mal, et tout le monde lui en veut.

béralde.

Non, mon frère ; laissons-la là : c’est une femme qui a les meilleures intentions du monde pour votre famille, et qui est détachée de toute sorte d’intérêt ; qui a pour vous une tendresse merveilleuse, et qui montre pour vos enfants une affection et une bonté qui n’est pas concevable : cela est certain. N’en parlons point, et revenons à votre fille. Sur quelle pensée, mon frère, la voulez-vous donner en mariage au fils d’un médecin ?

argan.

Sur la pensée, mon frère, de me donner un gendre tel qu’il me faut.

béralde.

Ce n’est point là, mon frère, le fait de votre fille ; et il se présente un parti plus sortable pour elle.

argan.

Oui ; mais celui-ci, mon frère, est plus sortable pour moi.

béralde.

Mais le mari qu’elle doit prendre doit-il être, mon frère, ou pour elle, ou pour vous ?

argan.

Il doit être, mon frère, et pour elle et pour moi ; et je veux mettre dans ma famille les gens dont j’ai besoin.

béralde.

Par cette raison-là, si votre petite étoit grande, vous lui donneriez en mariage un apothicaire.

argan.

Pourquoi non ?