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ACTE V, SCÈNE I.

Me livrera ce cœur que possède Clitandre ;
Et par mille doux soins, j’ai lieu de présumer
Que je pourrai trouver l’art de me faire aimer.

Henriette.
Non : à ses premiers vœux mon âme est attachée
Et ne peut de vos soins, monsieur, être touchée.
Avec vous librement j’ose ici m’expliquer,
Et mon aveu n’a rien qui vous doive choquer.
Cette amoureuse ardeur qui dans les cœurs s’excite,
N’est point, comme l’on sait, un effet du mérite :
Le caprice y prend part ; et, quand quelqu’un nous plaît,
Souvent nous avons peine à dire pourquoi c’est.
Si l’on aimoit, monsieur, par choix et par sagesse,
Vous auriez tout mon cœur et toute ma tendresse ;
Mais on voit que l’amour se gouverne autrement.
Laissez-moi, je vous prie, à mon aveuglement,
Et ne vous servez point de cette violence
Que, pour vous, on veut faire à mon obéissance.
Quand on est honnête homme, on ne veut rien devoir
À ce que des parents ont sur nous de pouvoir :
On répugne à se faire immoler ce qu’on aime,
Et l’on veut n’obtenir un cœur que de lui-même.
Ne poussez point ma mère à vouloir, par son choix,
Exercer sur mes vœux la rigueur de ses droits.
Ôtez-moi votre amour, et portez à quelque autre
Les hommages d’un cœur aussi cher que le vôtre.

Trissotin.
Le moyen que ce cœur puisse vous contenter ?
Imposez-lui des lois qu’il puisse exécuter.
De ne vous point aimer peut-il être capable,
À moins que vous cessiez, madame, d’être aimable,
Et d’étaler aux yeux les célestes appas… ?

Henriette.
Eh ! monsieur, laissons là ce galimatias.
Vous avez tant d’Iris, de Philis, d’Amarantes[1],
Que partout dans vos vers vous peignez si charmantes,
Et pour qui vous jurez tant d’amoureuse ardeur…

  1. Cotin avait en effet chanté, sous le nom d’Iris, de Philis, d’Amarante, les plus grandes dames de la cour ; et ces dames imaginaient, de la meilleure foi du monde, que rien n’était plus galant que le style de Cotin. (Aimé Martin.)