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ACTE IV, SCÈNE II.

Armande.
Le brutal ! Et vingt fois, comme ouvrages nouveaux,
J’ai lu des vers de vous qu’il n’a point trouvés beaux.

Philaminte.
L’impertinent !

Armande.
L’impertinent ! Souvent nous en étions aux prises ;
Et vous ne croiriez point de combien de sottises…

Clitandre, à Armande.
Hé ! doucement, de grace. Un peu de charité,
Madame, ou, tout au moins, un peu d’honnêteté.
Quel mal vous ai-je fait ? et quelle est mon offense,
Pour armer contre moi toute votre éloquence,
Pour vouloir me détruire, et prendre tant de soin
De me rendre odieux aux gens dont j’ai besoin ?
Parlez, dites, d’où vient ce courroux effroyable ?
Je veux bien que madame en soit juge équitable.

Armande.
Si j’avois le courroux dont on veut m’accuser,
Je trouverois assez de quoi l’autoriser.
Vous en seriez trop digne ; et les premières flammes
S’établissent des droits si sacrés sur les ames.
Qu’il faut perdre fortune, et renoncer au jour,
Plutôt que de brûler des feux d’un autre amour.
Au changement de vœux nulle horreur ne s’égale ;
Et tout cœur infidèle est un monstre en morale.

Clitandre.
Appelez-vous, madame, une infidélité,
Ce que m’a de votre ame ordonné la fierté ?
Je ne fais qu’obéir aux lois qu’elle m’impose,
Et si je vous offense, elle seule en est cause.
Vos charmes ont d’abord possédé tout mon cœur.
Il a brûlé deux ans d’une constante ardeur ;
Il n’est soins empressés, devoirs, respects, services,
Dont il ne vous ait fait d’amoureux sacrifices.
Tous mes feux, tous mes soins ne peuvent rien sur vous,
Je vous trouve contraire à mes vœux les plus doux :
Ce que vous refusez, je l’offre au choix d’une autre.
Voyez. Est-ce, madame, ou ma faute, ou la vôtre ?
Mon cœur court-il au change, ou si vous l’y poussez ?
Est-ce moi qui vous quitte, ou vous qui me chassez ?