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LES FEMMES SAVANTES.

Bélise.
Il faut se relever de ce honteux partage,
Et mettre hautement notre esprit hors de page.

Trissotin.
Pour les dames on sait mon respect en tous lieux ;
Et, si je rends hommage aux brillants de leurs yeux,
De leur esprit aussi j’honore les lumières.

Philaminte.
Le sexe aussi vous rend justice en ces matières ;
Mais nous voulons montrer à de certains esprits,
Dont l’orgueilleux savoir nous traite avec mépris,
Que de science aussi les femmes sont meublées,
Qu’on peut faire, comme eux, de doctes assemblées,
Conduites en cela par des ordres meilleurs ;
Qu’on y veut réunir ce qu’on sépare ailleurs,
Mêler le beau langage et les hautes sciences,
Découvrir la nature en mille expériences ;
Et, sur les questions qu’on pourra proposer,
Faire entrer chaque secte, et n’en point épouser.

Trissotin.
Je m’attache pour l’ordre au péripatétisme.

Philaminte.
Pour les abstractions, j’aime le platonisme.

Armande.
Épicure me plaît, et ses dogmes sont forts.

Bélise.
Je m’accommode assez, pour moi, des petits corps ;
Mais le vide à souffrir me semble difficile,
Et je goûte bien mieux la matière subtile.

Trissotin.
Descartes, pour l’aimant, donne fort dans mon sens.

Armande.
J’aime ses tourbillons.

Philaminte.
J’aime ses tourbillons. Moi, ses mondes tombants.

Armande.
Il me tarde de voir notre assemblée ouverte,
Et de nous signaler par quelque découverte.

Trissotin.
On en attend beaucoup de vos vives clartés ;
Et pour vous la nature a peu d’obscurités.