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LES FEMMES SAVANTES.

Les leurs ne lisoient point, mais elles vivoient bien ;
Leurs ménages étoient tout leur docte entretien ;
Et leurs livres, un dé, du fil et des aiguilles,
Dont elles travaillaient au trousseau de leurs filles[1].
Les femmes d’à présent sont bien loin de ces mœurs :
Elles veulent écrire, et devenir auteurs.
Nulle science n’est pour elles trop profonde,
Et céans beaucoup plus qu’en aucun lieu du monde :
Les secrets les plus hauts s’y laissent concevoir,
Et l’on sait tout chez moi, hors ce qu’il faut savoir.
On y sait comme vont lune, étoile polaire,
Vénus, Saturne et Mars, dont je n’ai point affaire ;
Et, dans ce vain savoir, qu’on va chercher si loin,
On ne sait comme va mon pot, dont j’ai besoin.
Mes gens à la science aspirent pour vous plaire,
Et tous ne font rien moins que ce qu’ils ont à faire.
Raisonner est l’emploi de toute ma maison,
Et le raisonnement en bannit la raison… !
L’un me brûle mon rôt, en lisant quelque histoire ;
L’autre rêve à des vers, quand je demande à boire :
Enfin, je vois par eux votre exemple suivi,
Et j’ai des serviteurs, et ne suis point servi.
Une pauvre servante au moins m’étoit restée,
Qui de ce mauvais air n’étoit point infectée ;
Et voilà qu’on la chasse avec un grand fracas,
À cause qu’elle manque à parler Vaugelas.
Je vous le dis, ma sœur, tout ce train-là me blesse ;
Car c’est, comme j’ai dit, à vous que je m’adresse.
Je n’aime point céans tous vos gens à latin,
Et principalement ce Monsieur Trissotin :
C’est lui qui, dans des vers, vous a tympanisées ;
Tous les propos qu’il tient sont des billevesées.
On cherche ce qu’il dit après qu’il a parlé ;
Et je lui crois, pour moi, le timbre un peu fêlé.

  1. Le mot est historique, et Molière l’a emprunté à Montaigne : À l’adventure, nous et la theologie ne requerons pas beaucoup de science aux femmes : et François, duc de Bretagne, fils de Jean V, comme on lui parla de son mariage avec Isabeau, fille d’Écosse, et qu’on lui adjousta qu’elle avoit esté nourrie simplement et sans aulcune instruction de lettres, respondit « qu’il l’en aimoit mieulx, et qu’une femme estoit assez sçavante quand elle sçavoit mettre difference entre la chemise et le pourpoinct de son mary. » (Essais, livre I, chap. XIV. Voyez aussi Chevroana, tome I, page 192, et les Annales de Bouchet.)